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Tiré de Musée Neuchâtelois      Revue d'histoire régionale fondée en 1864    No 1 janvier / mars 1977 LES ARMES DES BOURGEOIS DE NEUCHATEL A L'ÉPOQUE DES GUERRES DE BOURGOGNE
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    La situation était désagréable vers 1470. Rodolphe de Hochberg, comte de Neuchâtel, avait de nombreuses terres en Franche-Comté. Il était ami du duc de Bourgogne et son fils vivait à la cour de ce dernier. Mais il était aussi ami et allié de Berne. De très puissants amis. Et rien n'est aussi déplaisant que d'assister à une querelle entre ses amis. Surtout s'ils sont très forts, beaucoup plus forts que soi. A Valangin c'était pareil. Jean III d'Arberg avait de nombreux intérêts en Bourgogne. En plus, il avait marié sa fille Jacqua à un Bernois partisan de la Bourgogne, Adrien de Bubenberg. Mais il était combourgeois de Berne. 
    Depuis 1406, les bourgeois de Neuchâtel s'appuyaient sur la ville de l'Aar et ceux de Valangin tentaient de faire de même, pour sauvegarder leurs libertés ou en acquérir d'autres. A Neuchâtel donc, comte et bourgeois soupesaient leurs forces, craignant leur faiblesse. Quelles étaient ces forces? On peut les connaître assez exactement. La ville, une très petite ville entourée de remparts, ne comptait guère que 2500 habitants. Les bourgeois capables de porter les armes? - Il y en avait 526, y compris ceux de l'extérieur. Leurs armes? - On les connaît également en détail, mais personne jusqu'ici n'a pris la peine de les compter. Cependant, en 1903 déjà, Arthur Piaget publiait, presque sans commentaire il est vrai, les longues listes d'inspection d'armes des bourgeois de la ville, de 1470 à 1536 1. A l'époque des guerres de Bourgogne, à deux reprises, en 1470 et en 1474, les bourgeois vont défiler, à tour de rôle, pour présenter leurs armes. La commission d'inspection est mixte. Le maire de Neuchâtel, Jean du Terraux, représente le comte. Le banneret Nicolet Varnod, assisté d'un notaire, et les Quatre Ministraux et Conseillers de la ville siègent au nom des bourgeois. Guillaume de Hochberg, père de Rodolphe, prend place à côté du maire, en 1474. Nous ne pouvons douter qu'il connaissait bien les armes, puisqu'il avait commandé, en 1443, les forces impériales qui, à Zurich, résistèrent victorieusement au siège des Confédérés. Dans la longue liste des bourgeois convoqués avec leurs armes nous avons choisi de présenter d'abord les armes défensives, puis les armes offensives, soulignant sorte et quantité. Le lecteur avide de savoir ce que chacun portait en particulier recourra directement à la liste publiée par Arthur Piaget.
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Sur 526 bourgeois, 183 portaient une cotte. Il s'agit de cottes de mailles, vraisemblablement doublées d'étoffe selon le type usuel de l'époque 2. En plus des 183 cottes mentionnées on recensa 20 jaques, vêtement court, dont le plastron épais faisait bomber le torse. Le musée de Valangin possède quelques treillis de mailles d'époque. On sait que les objets abîmés étaient fréquemment lancés hors des murs des châteaux. C'est précisément là que ces fragments de cottes ont été trouvés. Ils sont faits de bouclettes entrelacées d'acier et de laiton de 9 millimètres de diamètre, mais il n'est pas possible de savoir s'ils datent du XIVe ou du XVe siècle. Les cottes passées en revue à Neuchâtel en 1470 étaient plus courtes que les hauberts du XIVe siècle dont les personnages centraux du cénotaphe des comtes de la collégiale nous donnent divers exemples valables pour l'année 1372, bien que leurs armures de mailles soient dissimulées en bonne partie sous des cottes d'armes faites de tissus. Les cottes de mailles de 1470 étaient sans doute comparables à celle que porte Rodolphe de Hochberg, à l'extrême droite du même monument. On peut très bien en distinguer la partie inférieure qui dépasse de la cuirasse. Ces cottes étaient des « albergeons » ou haubergeons, de petits hauberts, descendant jusqu'à mi-cuisses et qui parfois n'avaient pas de manches. Maître Jean, armurier à Neuchâtel en 1422-1424, vendit un tel « abergont » à Mermet Covet, de Saint-Aubin en Vully, pour un muid et deux hémines de froment 3. Quelques mois plus tôt, il avait livré un « abergont» à Jenod Rossel, de Chanroz, pour quatre setiers de froment 4. Ce maître Jean, « arneser », c'est-à-dire fabricant de harnais ou cuirasses est peut-être le même personnage que Jean Guillemin, bourgeois de Neuchâtel qui, en 1422, vendait un « abergont» à Perrin Girard, du Saugeais, pour un florin d'or et quatre écus d'or, une somme assez importante alors 5. C'est que la fabrication d'un haubergeon était longue. Il fallait faire et tailler la cotte de mailles, la doubler du hoqueton, un vêtement matelassé, puis la recouvrir de la jaque.
    Le harnois entier ou harnois plain, que 97 bourgeois portaient lors de cette inspection d'armes, était fait de plaques rigides de fer poli. Nous n'avons aucun renseignement nous permettant de connaître le type dont ces hommes étaient pourvus. Toutefois, la statue de Rodolphe de Hochberg dans le cénotaphe de la collégiale nous fait voir l'armure du comte, leur seigneur. Le même monument nous permet aussi de comparer les harnois que portaient nos seigneurs au XVe siècle et d'en voir l'évolution. Les cuirasses des bourgeois, probablement pas très différentes, étaient très coûteuses. Jean Daz, de Saint-Blaise, paya la sienne 6 florins d'or et 4 sols de Lausanne à son vendeur, Nicolet Piquillioz, du même village, en 1431 6. Les armures étaient évidemment affaire d'hommes, même si à l'inspection
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certaines femmes viennent présenter celles de leur foyer, de leur « feu ». C'est la raison pour laquelle Guillemenet mege Rossel, bourgeois de Neu­châtel, léguant ses biens à sa femme, en 1430 en excepte ses « armures » 7. Au Landeron, il n'y en avait qu'une à l'arsenal, selon un inventaire de 1458 8. Les armures métalliques complètes faites de plates, c'est-à-dire de lames d'acier brillantes que portaient déjà 97 bourgeois en 1470 sont à l'origine de nos « armourins ». C'est en effet en 1473, assure Jules Jean­jaquet, que le « gardien» habituel des bénissions (bénichons) porte le nom d'armerin. Un armourin était un soldat revêtu de l'armure complète par opposition à ceux qui ne portaient que des haubergeons de mailles ou des « glaissons » 9.
    Vu le prix élevé et peut-être le poids des armures complètes, un grand nombre de bourgeois - 97 - ne possédaient et ne présentèrent à l'inspec­tion de 1470 que des Pièces, terme par lequel il faut entendre une armure partielle protégeant le torse, un plastron. Une pièce était beaucoup moins coûteuse qu'un harnois plain. Jean Ganz, cordonnier, par exemple, a payé la sienne 50 sols dus aux Quatre ministraux qui la lui ont vendue en 1474 10. D'autres bourgeois - 47 - portaient un glaisson, terme qu'on ne trouve ni dans l'ouvrage de Michèle Beaulieu et Jeanne Baylé ni dans l'étude de Eugène Heer. Par chance, deux actes du notaire Pierre Bergier nous apprennent l'un qu'il s'agit d'une « picete devant d'armure », donc d'un plastron, et l'autre que cette pièce était d'acier 11. Nous en déduisons que le glaisson était une armure pectorale faite de plates tandis que la Pièce protégeant également la poitrine était faite de mailles. Ainsi, avec 47 glais­sons et 97 Pièces 144 bourgeois pouvaient se protéger le thorax. La preuve, s'il en faut encore une, que ces protections rendaient le même service, est fournie par les ensembles fréquents cités lors de l'inspection. En voici quatre exemples: Horrich le maréchal présente un glaisson, une salade et un gorgerin, Perrin Gay les mêmes objets, mais Grand Jehan, gendre de Jehan Perrod, montre Pièce, salade et gorgerin, de même que Jacob le fourbisseur. Précisons encore qu'il ne s'agit pas de brigantines, puisque de telles cuirasses faites de petites plaques rivées sur une étoffe ou sur une peau sont mentionnées aussi à cette inspection. Il n'yen a, il est vrai qu'un seul exemplaire.
    Les bracelets (15 exemplaires), gantelets (23), et un seul « cuissot» cuissard, n'étaient pas à la mode parmi nos bourgeois. Dans l'inventaire de l'arsenal du Landeron, fait en 1458, ils n'étaient pas plus fréquents. On y trouve l'annotation: « item une cote, bracellet et gantellet. 12 » Nous n'avons pu trouver ce que signifiaient les termes de « gardellion » ou « gar­dillon» et de « galliardon », mais comme on ne trouve que deux exemplaires
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de cette arme mystérieuse dans notre « montre », nous laissons le problème ouvert. Piaget se référant à Gay assure que le galliardon était une cubitière à revers allongé sur le bras et l'avant bras.
    A l'abri de leurs cuirasses, cottes, glaissons et pièces d'armures nos bourgeois se protégeaient également la tête et les épaules. Dix d'entre eux ont revêtu un bassinet, en 1470, semblables peut-être à ceux que portent Conrad et Jean de Fribourg .dans le cénotaphe de la collégiale. Les bassinets de ces deux seigneurs sont munis d'une visière mobile percée de nombreux trous d'aération, appelée visière à mézail, parce que, baissée elle ressemble au groin d'un animal. Ce casque très en vogue dans la première partie du XVe siècle était moins apprécié à l'époque de notre inspection d'armes. Un « arneser » ou armurier de Neuchâtel, maître Jean, en vendit un, en 1423, à Jaquet Monnier, de « Velat en Volier» (Villars le Grand), pour deux florins d'Allemagne 13. Un inventaire fait au château de Valangin en 1429 signale également un bassinet avec salade à visière 14. Dans le cénotaphe, le casque que porte Rodolphe de Hochberg a sa visière relevée et fait penser à une salade à visière mobile. C'est d'ailleurs ce type de casque, la salade, que nos bourgeois préfèrent. C'est la pièce d'armement la plus abondante. Il y en a 231 pour 526 bourgeois armés. Ce casque avait un couvre nuque. Une calotte intérieure empêchait le métal de blesser la tête et une jugulaire le tenait bien en place. Nous ignorons si les salades de nos bourgeois avaient une visière fixe, une visière mobile ou pas de visière du tout.
    Si la salade est abondamment représentée, le chapel ne compte que 8 exemplaires. Ce chapeau de fer, qui se distinguait de la salade par une crête et par des ailes assez larges, était en train de disparaître.
    Nous ne trouvons aucun « armed » à Neuchâtel lors de notre inspection d'armes. Un tel casque apparaît au Landeron en 1436, les autorités de la ville ayant donné 12 livres à Perroud Martin pour « ung armed », et 5 florins à Imer Pest el pour un autre. Il s'agit d'un heaume qu'on ne pouvait mettre par l'encolure; il fallait en ouvrir la partie inférieure, dont l'une des pièces pouvait pivoter. Très lourd, l'armed reposait sur les épaules 15.
    Le gorgerin ou camail de mailles assurait la protection du cou. On en compte 189 en 1470, ce qui signifie que plus du tiers des bourgeois le portent. Ce fait est en contradiction avec ce qu'ont observé Michèle Beaulieu et Jeanne Baylé en Bourgogne. Ces auteurs assurent en effet que cette partie d'armure disparaît peu à peu au cours du XVe siècle. Dans le monument des comtes, à la collégiale, Conrad, Jean et Rodolphe n'en portent pas. Ils ont revêtu une protection de fer plain, la bavière. L'inventaire fait à Valangin en 1429 fait apparaître aussi bien le camail que la bavière. « Item ung bassegniet a baiviere et deux a caimat. 16»
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    Les armes offensives sont représentées, lors de l'inspection de 1470, par différentes armes d'hast, tout d'abord. La commission vit défiler 71 guisarmes, 104 lances, 12 épieux et une hallebarde. Les guisarmes, très fréquentes en France et en Bourgogne à cette époque, étaient formées d'une hampe pourvue d'un long fer dont le dos et le tranchant étaient parallèles. Un bec courbé du côté tranchant permettait de tailler tandis qu'une longue pointe terminant la lame servait d'estoc. Le dos était également pourvu d'une ou deux pointes 17. A Neuchâtel, 71 bourgeois en étaient équipés. D'autres, 104, étaient armés de lances. Il ne s'agit évidemment pas de lances de cavalerie, ni de lances de jet. S'agit-il de la longue pique suisse de 5 mètres, telle que les chroniques de Stumpf, de Schodeler et d'autres nous la présentent et que les livres illustrés d'histoire suisse font connaître au grand public 18? Rien ne nous permet de l'affirmer. Cependant, dans l'inventaire de l'arsenal du Landeron que nous avons déjà cité, il est pré­cisé : « item cinq lances à homme de piez. »  Un peu plus tard, en 1499, la ville de Neuchâtel déboursa 8 livres pour quatre douzaines de lances qu'elle fit faire pour les distribuer à ceux qui partaient à la guerre 19. Vu les rela­tions étroites de la ville et du comté avec Berne, il est vraisemblable que les lances de Neuchâtel étaient du même type que les piques suisses. A côté de ces armes d'hast nombreuses, on trouve encore 12 épieux, en 1470. Plus courts que les piques ils avaient une hampe plus solide et leur fer était pourvu d'une tige transversale servant d'arrêt. A notre grand étonnement, une seule hallebarde, l'arme par excellence des Suisses, est présentée à l'inspection.
    Chose étrange aussi, les armes blanches plus courtes sont relativement peu nombreuses. Pour les 526 personnages convoqués à l'inspection, 134 sont armés de fauchons et 3 d'épées. Le fauchon était une épée de guerre à lame très forte s'élargissant légèrement vers l'extrémité. Son dos était droit, ou légèrement courbé seulement, ce qui le différenciait du cimeterre. Nous n'en connaissons aucun exemplaire.
    Seules cinq haches d'armes sont mentionnées.
    Quant aux armes de trait, elles sont représentées par 83 arbalètes et 100 couleuvrines. Les arbalètes avaient des arcs de bois, de fer ou de corne mais nous ne savons pas combien il y en avait de chaque espèce. En 1429, au château de Valangin, on comptait 16 arbalètes de corne et 15 de bois. Aucune arbalète de fer ne s'y trouve. La présence de 100 couleuvrines pour nos 526 bourgeois, avant les guerres de Bourgogne, indique que chez nous aussi les armes à feu s'étaient multipliées au cours du XVe siècle. Il est regrettable qu'aucune couleuvrine à main de cette époque ne nous soit parvenue intacte. Il n'est donc pas possible de connaître leur longueur, la forme de leur crosse, le diamètre de leur canon et leur poids. Seules des
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gravures assez peu précises nous montrent ces armes à feu portatives. Arbalète ou couleuvrine? Le problème s'est posé au cours du XVe siècle pour les particuliers et pour les communautés. Le prix de ces armes très différentes ne semble pas avoir joué un rôle important. Une arbalète coûtait 3 florins au Landeron en 1436 20. Cinq arbalètes furent acquises par la bourgeoisie de Neuchâtel, à Fribourg, en 1437-1438, pour 13 florins d'or et trois quart, y compris une courroie, un crochet et un coveret 21. La courroie et le crochet servaient à tendre l'arbalète. Il s'agissait le plus souvent d'un double crochet fixé à une courroie, portée comme ceinture, permettant à l'arbalétrier de tendre son arme en se redressant. Plus tard, l'arc étant devenu plus fort il fallut un cric ou un moufle pour y parvenir. Quant au « coveret », c'est probablement une sorte de « couvier» servant de carquois. En 1469, sur six arbalètes léguées à la ville par l'ermite Nicolas de Bruges, bourgeois de Neuchâtel, deux étaient d'acier et les autres de bois 22.
    En 1473, une arbalète et sa « voinde» fut achetée par Pierre Gaudet d'un habitant de Faoug, près de Morat, qui lui devait de l'argent. Il la paya 5 livres et 13 sols faibles de Lausanne. La « voinde » était le cric ou treuil dont nous venons de parler 23. En 1475, la ville de Neuchâtel achète une arbalète d'acier pour 20 sols et une grosse arbalète de bois pour la même somme 24. Cette arme n'était pas plus coûteuse à la fin du siècle qu'au début, si nous nous référons à un acte de I407 dans lequel une arbalète est vendue au Landeron pour 19 sols 25. On sait que le tir à l'arbalète était exercé régulièrement. Un article des comptes de la Bourserie nous indique que la ville allouait trois sols par dimanche aux « compaignons arbelestriers ». Ceux-ci ayant tiré 38 dimanches, en 1442-1443 reçurent 6 livres et 14 sols. La ville encourageait aussi les jeunes gens à s'exercer en leur donnant deux pots de vin par dimanche. La dépense se monta la même année à 2I sols et 4 deniers 26. On sait aussi que la « bénichon» permit, dès 1464, aux compagnons et aux arbalétriers des localités voisines de concourir. Tandis qu'on offrait du vin seulement aux compagnons, les arbalétriers recevaient en plus du pain et du fromage 27.
A côté des 83 arbalètes on passa en revue 100 couleuvrines, avons­nous dit. Cette arme nouvelle apparaît dans notre ville en 1437-1438, selon les comptes de la Bourserie. « Item (pour) délivré pour l'eschet de 3 colovrines, une double pour le mollin, pour livre de poudre et pour un cent de plombaye 4 florins d'or et 16 sol, valant 6 livres et 12 sols. 28 » Il n'y en a encore aucun  dans l'inventaire fait au château de Valangin, en 1429, bien que les armes soient notées avec précision. En 1443-1444, Girard Bergier fut dépêché à Fribourg pour acheter six couleuvrines qu'il dut payer 8 florins d'or et un quart. La ville déboursa en outre 2 sols pour le
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péage et 6 sous pour les deux journées de Bergier 29. Alfred Schnegg nous a rappelé qu'en 1450 Jean de Fribourg avait concédé une place aux bour­geois du Landeron pour y élever une chapelle et « faire maisonnement pour mectre leur arteillerie» 30. Dans le local construit, il ne se trouvait pas moins de 14 couleuvrines, 2 vouglaires, ou veuglaires et 6 arquebuses, en 1458, sans compter la poudre et d'autres armes, parmi lesquelles seules deux arbalètes sont mentionnées. L'ermite amateur d'armes, dont nous avons déjà cité le legs de 6 arbalètes à la ville en 1469, lui légua aussi deux couleuvrines, l'une de fer et l'autre de cuivre, sans compter la matière pre­mière pour faire la poudre 31. En 1475, la ville achetait une couleuvrine de passe pour 23 gros, à Pierre Pury, une livre et demi de soufre à un mercier étranger, pour 3 gros et 7 deniers la livre. Elle se procura également de la poudre auprès de deux merciers de la ville, Guillaume Ardy et Michel, et fit chercher du salpêtre à Grandson. La même année Conrad Gaudet ramène six arquebuses de Berne, où il passa quatre jours pour négocier l'affaire; il reçut 46 sols pour sa dépense. Il semble que cette artillerie ait été prêtée par la ville combourgeoise 32. Après les guerres de Bourgogne, Pierre Magne, demeurant à Neuchâtel, achète une couleuvrine de cuivre à Perrenot Grillot, de Saint-Blaise, pour 40 sols 33. La même année, Yuille­menet Clerc verse à Perrenot Grillot, demeurant cette fois à Neuchâtel, 40 sols pour une autre couleuvrine de cuivre 34. Les armes à feu jouent donc un rôle à Neuchâtel, à la fin du XVe siècle déjà, et l'emportent sur les arbalètes. Mais c'est seulement au début du siècle suivant que Philippe de Hochberg accorde des statuts aux « compaignons de la ville de Neuf­chastel jouans au jeu de la colovrine ». Ils achètent un terrain à l'Ecluse, en 1506, et y construisent un bâtiment. Une des gravures de Merian nous montre clairement la cible sur laquelle ils tiraient 35.
    L'inspection des armes personnelles des bourgeois de Neuchâtel en 1470 ne mentionne aucun canon, mais nous savons que la ville avait installé neuf couleuvrines sur ses tours, trois achetées en 1437 et 6 achetées en 1444 36. L'artillerie s'est lentement développée chez nous, au cours du XVe siècle. Les premiers canons cités dans la région sont ceux de Thielle, en 1401: Quatres canon de fondue desquelx les trois sont garny et loyez en leurs, boytes. 37 » Yverdon faisait forger deux canons légers en 1389-1390 déjà 38. En 1405, Lausanne achète deux canons à un marchand de Constance et , les fait essayer en présence de la communauté et du vendeur 39. En 1443­1444, des charpentiers installent des canons à Neuchâtel et la ville s'en procure deux à Valangin 40.
    Maître Jean fait de la poudre. Il s'agit de Jean Barrelier, un artilleur spécialiste de la ville que nous retrouvons en 1448 à Yverdon, où il restaure
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de la vieille poudre en la traitant à « l'eau ardente », puis la fait conserver dans un tonneau suspendu à une corde pour la préserver de l'humidité 41. La fabrication et la conservation de la poudre posaient aussi des problèmes à Neuchâtel. En 1472-1473, les Quatre ministraux achètent 7 pots de vinaigre « à mettre en la poudre de canon » 42.
    Si les couleuvrines et les arquebuses tiraient avec des balles de plomb, les canons de plus gros calibre utilisaient des boulets de pierre. En 1469-1470, c'est le maçon Ponçot du Bois qui en fabrique quatre, pour essayer les canons de la ville 43. En 1441, à Champlitte, on avait mis six maçons à l' œuvre pour tailler un quarteron de boulets de pierre 44. Un bon nombre de boulets de pierre semblables subsistent encore au château de Valangin. Certains avaient été taillés pour des catapultes, des espingales, et d'autres pour des canons. Quant aux canons à frettes de cette époque, le Musée historique de Neuchâtel permet d'en admirer un certain nombre. Le Musée national, à Zurich, possède un canon semblable provenant de Valangin. C'est peut-être un des canons signalés dans l'inventaire fait en 1429. « Item ou grenier trois gros canom de douves et deux petit de fondue de fert. 45 » A cette époque (1429), les balistes rivalisaient encore avec les engins à poudre, et on conservait soigneusement au grenier de Valangin des cordes faites de crins de cheval utilisées pour les espringales (arme proche de la baliste). « Item encor sept fardez [ballots] de cordes de poy de cheval pour espingalles. 46 »
    Lors de l'inspection de 1470 quatre bourgeois présentèrent des « bastons ». Il s'agit certainement d'armes à feu montées sur fût, mais nous n'avons pu trouver ce qui les différenciait des couleuvrines. Un seul homme était armé d'un arc. Les musiciens ne manquaient pas non plus: un habitant de la ville présenta sa trompette et deux bourgeois établis à Colombier leurs cornemuses.
    Les inspections des armes personnelles des bourgeois de Neuchâtel, à l'époque des guerres dé Bourgogne, nous permettent d'évaluer mieux l'une des forces en présence, la capacité militaire de la ville. Or cette force était la composante essentielle de la (faible) puissance de Rodolphe de Hochberg, comte de Neuchâtel. Le reste des terres dépendant directement de lui, ou lui étant subordonnées plus ou moins étroitement par l'intermédiaire de seigneurs particuliers, ne nous a pas livré jusqu'ici une image aussi claire. Type, qualité et nombre d'armes et d'hommes susceptibles d'être appelés nous sont inconnus. Nous ignorons aussi ce que pouvaient fournir à Rodolphe ses seigneuries badoises. De toute évidence, l'ensemble de ces forces diverses ne pouvait pas lui permettre de mener une politique très indépendante, même si chacune d'entre elles avait été animée du même souffle. 

Fernand LOEW.

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  1  Arthur PIAGET, Revues militaires à Neuchâtel au XVe &- XVIe siècle, dans Musée neuchâtelois, 1903, p. 275.
  2  Michèle BEAULIEU et Jeanne BAYLÉ, Le costume en Bourgogne de Philippe le Hardi à Charles le Téméraire, Paris, 1956, p. 146.
  3  Archives de l'Etat, Richard le Pic, notaire, vol. l, f. XIX v.
  4  Ibid., f. XIX.
  5  Ibid., f. X.
  6  Archives de l'Etat, Henri Pigaud, notaire, vol. II, f. 124 v.
  7  Archives de l'Etat, Richard le Pic, notaire, vol. III, f. 135 v.
  8  Alfred SCHNEGG, Le Landeron et les guerres de Bourgogne, dans Musée neuchâtelois, 1943, p. 75.
  9  Jules JEANJAQUET, Armourins et bénichons neuchâteloises, dans Musée neuchâtelois, 1941, p. 44.
10  Archives de l'Etat, Pierre Bergier, notaire, vol. l, f. 127 v.
11  Ibid. et vol. IV, f. 182 v., «ung glaisson ou picete devant d'armure   (1474), «ung glaisson d'acier   (1472).

12  Alfred SCHNEGG, op. cit., p. 75.

13 Archives de l'Etat, Richard le Pic, notaire, vol. l, f. XIX.
14 Archives de l'Etat, l, 18, N° 2.
15 Alfred SCHNEGG, op. cit., p. 74; Michèle BEAULIEU et Jeanne BAYLÉ, op. cit., p. 167.
16 Archives de l'Etat, l, 18, N° 2.
17 Eugène HEER, Armes et armures au temps des guerres de Bourgogne, dans Grandson 1476, Centre d'histoire, Lausanne, 1976, pl. XIX.
18 Exemples dans Peter DÜRRENMATT, Histoire illustrée de la Suisse, Lausanne, 1958, p. 137, 149, 158, 179, 193, 194, 21O, 221, 231.
19 Arthur PIAGET, Revues militaires, dans Musée neuchâtelois, 19°4, p. 39.
20 Eugène HEER, op. cit., p. 187, renvoie à une gravure de Antonio Pollaiolo. Voir aussi le célèbre tableau de Botticelli, Judith et sa servante rentrant avec la tête Holopherne, Florence, Musée des Offices.
21 William WAVRE, Extrait des comptes de la bourserie, dans Musée neuchâtelois, 19°5, p. 57.
22 Arthur PIAGET, Testament d'un ermite, dans Musée neuchâtelois, 1944, p. 116.
23 Archives de l'Etat, Pierre Bergier, notaire, vol. IV, f. 113. Le mot 8 voinde   dérive du mot allemand Winde.
24 Charles CHATELAIN, Les Neuchâtelois et les guerres de Bourgogne, dans Musée neuchâ­telois, 1897, p. 289.
25 Archives de l'Etat, Debrot, notaire, vol. l, f. 31 V.
26 William WAVRE, op. cit., dans Musée neuchâtelois, 1905, p. 57.
27 Jules JEANJAQUET, op. cit., dans Musée neuchâtelois, 1941, p. 5 à 14.
28 William WAVRE, op. cit., dans Musée neuchâtelois, 1905, p. 57.
29 Ibid.
30 Alfred SCHNEGG, op. cit., p. 74.
31 Arthur PIAGET, Testament d'un ermite, dans Musée neuchâtelois, 1944, p. 116.
32 William WAVRE, op. cit., dans Musée neuchâtelois, 19°5, p. 134.
33 Archives de l'Etat, Philippe Bugnot, notaire, vol. l, f. 157 v.
34 Ibid., f. 160.
35 Alfred SCHNEGG, La maison des couleuvriniers à Neuchâtel, dans Musée neuchâtelois, 1946, p. 124.
36 Samuel de CHAMBRIER, Description de la mairie de Neuchâtel, Neuchâtel, 1840, p. 370.
37 William PIERREHUMBERT, Dictionnaire (...), Neuchâtel, 1926, sous «fondue , p. 255
38 Roger DÉGLON, Yverdon au moyen âge, Lausanne, 1949, p. 115 et 134.

39 M DSR, t. 35, p. 175.

40 William WAVRE, op. cit., dans Musée neuchâtelois, 1905, p. 57-58.
41 Roger DÉGLON, op. cit., p. 192.
42 William WAVRE, op. cit., dans Musée neuchâtelois, 1905, p. 67.
43 Ibid., p. 66.
44 Alfred GODET, Canons à frettes du Musée historique de Neuchâtel, dans Musée neuchâ­telois, 1901, p. 100.
45 Archives de l'Etat, l, 18, N° 2.
46 Ibid.