Les peintres du duc Charles

Extrait de 
ART FRANÇAIS ET ART FLAMAND: LES ÉCHANGES DANS LE DOMAINE PICTURAL
Albert CHÂTELET (Strasbourg)
Colloques internationaux CNRS
LA FRANCE DE LA FIN DU XV' SIÈCLE - RENOUVEAU ET APOGÉE
Editions du CNRS, Paris, 1985

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Deux artistes ont porté ce titre au moins, mais aucun des deux n'a eu les honneurs de quelque gloire au XXe siècle: ce sont Pierre Coustain, valet de chambre de Philippe le Bon depuis le 3 janvier 1454, et Jean Hennecart; probablement retenu à son service par Charles le Téméraire lui-même, car sa première citation comme peintre ducal date de 1467.

Or, nous connaissons des œuvres certaines de ces deux artistes qui ont été négligées parce qu'elles n'appartiennent pas au grand art, à la peinture sur panneaux. Il s'agit des étendards du butin de Grandson, aujourd'hui répartis dans les musées des cantons vainqueurs. Ce sont ceux qui ont été commandés à nos deux peintres entre 1474 et 1476. De Hennecart, nous possédons aussi trois enluminures illustrant un manuscrit d'"Instruction à un jeune prince" dont l'illustration lui fut payée en 1470. Grâce à cela j'ai pu proposer un partage des étendards entre les deux peintres qui est d'ailleurs partiellement confirmé par les paiements eux-mêmes, car les Saint-Georges, mentionnés dans les commandes, sont tous confiés au seul Hennecart (1).

Il paraît donc difficile de négliger une production de cette importance pour l'art flamand, sauf à admettre que nous sommes libres de distinguer sous les seuls critères formels ce qui est " flamand" et ce qui ne l'est point. Or, ces étendards nous présentent un style qui ne relève pas de ce que l'on désigne communément ainsi. L'art de Coustain comporte des rudesses, des types aux visages individualisés par un accent proche d'une certaine laideur. Ce sont en partie des traits que Charles Sterling a proposé récemment de reconnaître comme caractéristiques de l'école picarde (2). Et certes, on peut le suivre à bien des égards. Une œuvre comme le retable de Thuisson-lès-Abbeville présente des caractéristiques de ce genre, dans une exécution plus fruste, mais elles sont issues elles-mêmes d'une tradition qui était vivante à la cour de Charles le Téméraire. Bien plus, cette tradition était notamment le fait d'un peintre bourguignon d'origine et de naissance qui travaille à Argilly dès 1448 et se fera donner par Charles le Téméraire la charge de châtelain de ce lieu. Il est très probable qu'il avait conservé des relations avec son pays d'origine, mais il est vraisemblablement mort à Bruges, à l'Hôtel vert dont il avait été nommé concierge. J'ai cru pouvoir lui attribuer les fresques du château de Chateauneuf en Bourgogne qui figurent les apôtres.

Le second maître, Hennecart, pose un problème assez voisin. Nous ne savons rien de son origine, de manière certaine. Son nom semble indiquer qu'il pourrait provenir d'une région de parler français, Hainaut ou Artois. Son activité n'est connue que de 1454 à 1475. Ses enluminures ne sont pas celles d'un très grand artiste. Elles démarquent assez facilement les œuvres de Roger van der Weyden (3). En même temps, dans leur caractère anecdotique, elles se rapprochent de l'art d'un Simon Marmion, de cet artiste que l'on hésite à dire flamand parce qu'il travaille à Valenciennes (4).

Il est d'ailleurs significatif que Durrieu, dans un premier temps, ait proposé l'attribution à Hennecart des tableaux considérés aujourd'hui comme l'œuvre centrale de Marmion, les volets de l'autel de Saint-Bertin (5). Là encore, il s'agit donc d'une variété du style flamand - on ne peut que difficilement refuser ce qualificatif à ce qui se produit à la cour ducale - qui ne rentre pas exactement dans notre vision simplificatrice. Avec Hennecart, c'est un art plus anecdotIque, si l'on en juge par les enluminures, plus mou si l'on se fonde sur les étendards, et qui n'a que des contacts un peu éloignés avec celui des grands maîtres qui nous sont familiers.

Les relations inverses sont d'ailleurs également à prendre en compte.
L'enlumineur en titre de Charles le Téméraire est un Français, Philippe de Mazerolles : il est engagé par le duc le 21 avril 1467 après avoir exécuté un livre d'heures peint sur fond noir qui avait été offert au comte de Charolais par la ville de Bruges, En 1454, il était actif à Paris...


(1)." Résurrection de Pierre Coustain " dans Bulletin de la société de l'histoire de l'Art français, 1962, p. 7-13. Un catalogue des étendards a été excellemment établi par Florens DEUCHLER, Die Burgunderbeute, Bern, 1963.
(2). Charles STERLING, " La peinture sur panneau picarde et son rayonnement dans le nord de la France au XVe siècle) dans Bulletin de la société de l'histoire de l'Art français, 1979, p. 7-49. 
(3). La scène évoquant le prince et son fils est une interprétation du frontispice du premier volume des Chroniques de Hainaut (Bruxelles, ms. 9242) et la mort du prince se souvient probablement d'un des panneaux de justice de l'Hôtel de Ville de Bruxelles; détruits et connus par une tapisserie du musée de Berne.
(4). Notamment Charles STERLING dans l'art. cit., note 6.
(5). Bulletin de la société nationale des Antiquaires de France, 1908, p. 263-264.

voir un panneau de Pierre Coustain

une série de 91

Titre & salaire - indications sur diverses techniques à la lecture des comptes

Extraits de LES DUCS De BOURGOGNE 
études sur 
LES LETTRES, LES ARTS ET L'INDUSTRIE PENDANT LE XV" SIÈCLE ET PLUS PARTICULIEREMENT DANS LES PAYS BAS ET LE DUCHÉ DE BOURGOGNE 
par LE COMTE DE LABORDE
TOME II PREUVES PARIS PLON FRERES, ÉDITEURS 1851

AUTRES OFFICIERS DE LA CHAMBRE. 
MdS vuelt que Pierre Coustain, paintre, soit toujours compté, lui estant devers MdS, à douze solz par jour. Et ne sera son lieu impétrable comme dessus. Jehan Aubry, tappisier et garde de la tappisserie, sera toujours compté absent et présent à semblables gages de douze sols par jour. Regnaudin Aubry, son aide, lui estant devers MdS, sera compté à neuf solz par jour. Hennequin Hermanszone, artilleur, tousjours compté lui estant devers MdS aux gages de neuf solz par jour.

(Archives de Lille. — 30 novembre 1474.) 
4041. — Je, Pierre Coustain, varlet de chambre et paintre de MS le duc de Bourgogne, cognoit et confesse avoir eu et receu de Pierre de Saisse, receveur de Hesdin, la somme de soixante quinze livres — qui deue m'estoient pour an et demy, escéant an noel prochainement venant, des gaiges que MdS me donne à cause des galleries de Hesdin, assavoir chinquante livres par an; de laquelle somme —je me tiens comptent. — Le pénultième jour de novembre,  anno LXXIIII

LES DUCS DE BOURGOGNE. 
4420 OUVRAIGES DE PAINTURES, qui ont esté fais, du commandement de mon devant dit très redoubté seigneur le duc, pour aorner la feste de ses noepces, pour servir aux bancquetz d'icelles, et lesquelz entremetz ont esté fais, selon l'ad vis et ordonnance de MSS Olivier, seigneur de la Marche, maistre d'ostel d'icelui seigneur et de Jaques de Villers, escuier eschançon de madame la duchesse, à ce commis de bouche de par MdS, avec l'advis aussi de Jehan Hennekart et Pierre Coustain, ses paintres et varlet de chambre, de maistre Jehan Scalkin aussi varlet de chambre, et de pluiseurs autres ouvriers, pour ce mandez de touttes les bonnes villes de par deça, venir au dit Bruges, ordonner et faire les diversetez d'entremetz et jeux de personnages et ystoires cy après déclaerez. 

page 353  
ESTOFFES DE PAINTUREs , comme or , argent, azur, couleurs et autres parties , paiées par le dit Fastret Mollet , durant ce devant dit premier paiement, assavoir depuis le vc jour d'avril jusqu'au xvjc ensuivant incluz , ou dit an LXVIJ , emploiées et converties par les devant dits paintres en la façon des entremetz qu'ilz ont fais pour la feste des dictes noepces. 

4657. — Le mardi, Ve jour d'avril, l'an LXVIJ, paié pour quatre rimes de gros pappier, dont ont esté fais pluiseurs doubles pappiers pour faire patrons, couvercles de tentes et de pavillons, au pris de VJ s. pour chacune rime , font ......... XXIIIJ s. 

4658. — Pour fleur de forment, à pappiner les dits pappiers ................ YJ s. 
4659. — Pour vj livres de cirre , pour faire pluiseurs patrons ............. xix s. vj d. 
4660. — Pour v livres de fil d'Anvers à faire brousses ................... v s.

page 354 LES DUCS DE BOURGOGNE. 
4662. — Pour queues d'escureulx à faire pincheaulx
4663. — Pour bois à faire pincheaulx. 
4664. — Pour xx livres de croye broyée à blanchir aucunes de roches servansaux bateaulx, à vj d. la livre x s. 
4665. — Pour plumes d'oyes et de cynes, pour faire pincheaulx et pour escrire et pourtraire à la plume ix s. 
4666. — Pour trois muys de charbon, pour chauffer couleurs et faire pappins XVIIJ s. 
4667. — Pour six douzaines de feulles d'estain blanche, double, dont est faites pluiseurs banierettes et penons servans aus dites naves et bateaulx. IX s. 
4668. — Pour potz et teelles de terre, pour mettres touttes couleurs, colles et papins. . XIJ s. VJ d. 
4669. — Pour VL douzaines de trençoirs de bois, pour sur iceulx mettre couleurs à olle et pour les tenir en la main, pour ce icy vj s. 
4670. — Pour croye de peltier, à pourtraire pluiseurs patrons IIJ s. Montent les parties de ce dit jour en somme. VJ I. XIIJ s. 
467I APPENDICE. 

page 355 
4671. — Le mercredi, vje jour d'avril, paié pour deux chartées de bois à boulir colles à coller. xix s. 
4672. — Pour quatre miliers de tourbes, à cuirre les pappins, et pour chauffer les couleurs. . xviu s. 
4673. — Pour cloux, à tendre grans patrons en pappiers, pour pourtraire dessus, pour ce. . iu s. 
4674. — Pour v livres de blanche forte colle, à coler flourettes de marguerittes ensemble, àus. la livre x s. 
4675. — Pour fleur de fourment, à faire pappins pour coler papiers doubles, pour ce. . . u s. vj d. 
4676. — Pour u livres de cirre vermeille, pour d'icelle faire empraintes et formes, à vj s. la livre. xu s. 
4677. — Pour une douzaine de ramons, à ramonner les chambres où les paintres oeuvrent. . .us. 
4678. — Pour six grans compas à compasser pluiseurs ouvraiges, pour ce, à xvin d. pièce . . ix s. 
4679. — Pour six petis compas, pour semblable. vj s. 
4680. — Pour une douzaine de chyseaulx, à trencher pappiers et patrons, à xu d. pièce. . . . xu s. 
4681. — Pour IIL livres de chandelles. u s. iu d. 
4682. — Pour IL livres de bois de Brezil à faire roses de Paris, pour les mettre en œuvre aux petis blasons des dictes naves xx s. 


page 357 
4694. — Pour IIIJ livres de chandelles. . . iu s. 
4695. — Pour armoniac, à estoffer les dictes banerettes, les penons et blasons xviu d. 
4696. — Pour fleur de forment, à faire pappins pour, avec ce, coler etmoler xviu d. 
4697. — Pour IIIJ livres d'ocre, à faire assise pour dorer nj s. Montent les parties de ce dit jour en somme nu l. nuj s. YJ d. 
4698. — Le vendredi VIIJe ensuivant du dit avril paié pour ix verges de fer, à faire le fourneau, pour y ouvrer le fondeur 
les ancres des dictes naves et beaucop d'autre besongnes, servans ès ouvraiges en pluiseurs manières YJ s. 
4699. — Pour nu livres de vermillon broié, à paindre aucuns des dits naves par dedens, à vu s. la livre xxviu s. 
4700. — Pour une livre de cynopre, à estoffer les dits petis blasons, banerettes et penons. . . . xvj s. 
4701. — Pour vert de glay, à verdir les dicques et terraces des dits bateaulx. ........ nus. 
4702. —• Pour florée, à paindre les eaues en quoy flotent les dits bateaulx IL s. 
4703. — Pour une livre de machicot, à paindre aucunes des roches servans aus dits bateaulx. IL s.

page 358 LES DUCS DE BOURGOGNE. 
4704. — Pour ung quarteron de rose, pour semblable u s. u d. 
4705. — Pour ung quarteron de delié azur, pour semblable xxs. 
4706. — Pour ung quarteron d'azur d'Allemaigne, pour semblable xv s. 
4707. — Pour tu livres de blanc de plonc broié, à faire pluiseurs patrons des dits banerettes et penons des dits bateaulx, à iu s. la livre ixs. 
4708. — Pour fleur de fourment, à faire pappins pour coler et moler us. 
4709. — Pour deux cens de thille large, à faire la forme des premières tentes et pavillons. . xnu s. 
4710. — Pour ung quarteron d'oefz, pour, de la glaire, faire assises pour dorer petis blasons, banerettes et penons, pour ce icy xud. 
4711. — Pour nu esponges pour passer les dits glaires us. 
4712. — Pour u livres de vert de montaigne pour d'icelui estoffer les dits roches, à u s. vj d. la livre v s. • 
4713. — Pour deux lotz d'uille de linuys, à destemprer touttes couleurs à ole, pour faire les dites banerettes v s. 
4714. — Pour une cruche de terre, à mettre le dit huille .•. . XIJ d. 

page 359 
4715. — Pour potz de terre, à mettre pluiseurs couleurs IIIJ s. VJ d. 
4716. — Pour paelles grandes et petites, potz et pochonnetz de terre, à mettre pappins, colles et couleurs vj s. 
4717. — Pour terre de potier, à faire les molles des bottequins nu s. 
4718. — Pour II J livres de chandelles. u s. iu d. 
4719. — Pour autres potz et godetz de terre à mettre touttes couleurs et touttes manières d'eaues, gommes, glaires, vinaigres et autres semblables ix s. vj d. 
4720. — Pour six couteaulx à trencher or pour dorer vj s. 
4721. — Pour six chyseaulx à taillier pappier et peaulx de tainte, pour ce paié viu s. 
4722. — Pour une livre de vitriol blanc, pour alloier les couleurs, pour ce x s.  (sulfate de zinc)
4723. — Pour dix livres de colle commune pour faire les chasteaulx et couvertures de pastelz.. x s. 
4724. — Pour six livres de blanche forte colle, à coler les menus ouvraiges d'iceulx chasteaulx. xu s. 
4725. — Pour bourre, à mettre dedens la terre de potier pour moler us. 
4726. — Pour colle d'escrignier, à renforcier les pappins HJ s.

LES DUCS DE BODRGOGNE. 

4727. —Pour armoniac, à faire assise pour dorer sur les petis blasons HJ s. vj d. 
4728. — Pour encore terre de potier à moler botquins HJ s. 
4729. — Pouriu livres d'estouppes, à coler, avec forte colle, pour assembler les formes des premières tenttes et pavillons xu d. 
4730. — Pour iu livres de tierchain pour mettre en œuvre par le fondeur d'estain. . . . ius. ixd. 
4731. — Pour six livres de fin estain doulz, à faire petis marmousez, servans aus dits naves et botquins, au pris de u s. la livre, pour ce. . xu s. 

Montent les parties de ce jour en somme. xj l. xv s. 
4732. — A Jehan Hennekart et à Pierre Coustain, paintres de MdS, paié pour la despense de bouche qu'ils ont fait, tant aux paintres dessus dits, comme aux tailleurs d'ymages ; 
assavoir : pour cent et une personne par les xu jours qu'ils ont ouvré, depuis le xviue jour d'avril dernier passé, jusques à ce dit vue jour de may incluz et par les ix jours de festes 
d'icelui temps n'ont esté que IIIJxx et xv personnes journellement, ainsy icy paié pour chacune personne, par jour HJ s., montent iuc x liv. j s. dont à cause qu'il y avoit aucuns jeunes, et ainsi qu il sembloit 
que le taux de HJ s. par jour, pour chascune personne, estoit Irop grant, on leur a rabatu d'icelle somme XV Liv. xviu s. au prouffit de MdS. 
ESTOFFES DE PAINTURES , PAYÉES DURANT CE DEVANT DIT SECOND PAIEMENT.
4747. — Pour miel, à faire assise, pour dorer, et pour ung pot à le mettre dedens......XIL d.